vendredi 23 mai 2014

CENTRAFRIQUE : UN PAYS EN QUÊTE DU BON SAMARITAIN ?


 " Le bon samaritain" passe aujourd’hui dans le langage courant pour désigner, de façon péjorative, quelqu'un de généreux pouvant secourir un nécessiteux. "Le bon Samaritain" est une personne charitable qui témoigne de l'amour pour les autres. Mais qu’en est-il réellement du bon samaritain en Lc 10, 25-37 ? En quoi cette parabole de Jésus pourrait-elle aider le peuple centrafricain en cette période de crises ? La Centrafrique a-t-elle vraiment besoin d'un  « bon samaritain » ? Qui doit-être ce bon Samaritain? Ma réflexion est motivée par ces questions. Mais, ma préoccupation est de savoir si les centrafricains, en général, et les chrétiens en particulier, nourrissent une culture du « bon samaritain » élevée au rang de la vertu. Sont-ils vraiment animés par le bon sens du « bon samaritain » ? De telles questions s’imposent, même si on nous fait croire que la statistique des chrétiens en RCA s’élève à plus de 80%.


En fait, la parabole du « bon samaritain » est la plus connue, la plus méditée, la plus prêchée dans nos églises. Mais, qu’en est-il de son application effective ? Pour y répondre, voyons d’abord le contexte ou les circonstances du texte. Au cours d’une discussion, un docteur de la loi interroge Jésus sur ce qu’il faut faire pour recevoir la vie éternelle. Jésus le renvoie aux deux grands commandements de la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta force et de toute ton intelligence et tu aimeras ton prochain comme toi-même». A partir de la loi, « tu aimeras ton prochain comme toi-même», le docteur de la loi demande à Jésus « mais qui est mon prochain ? ». Cette demande reste toujours dans les questions pratiques : à l’époque de l’Ancien Testament, le prochain est celui qui fait partie du peuple d’Israël. Certains pharisiens et esséniens considéraient comme des prochains seulement ceux qui faisaient partie de leur confrérie et ils excluaient les autres. La majorité des rabbins enseignaient que tous les juifs, tous les membres du peuple élu, étaient des prochains ; par contre, ils estimaient que le commandement d’amour ne concernait pas les païens, les idolâtres. On déconseillait même d’avoir des relations avec eux, et donc de leur venir en aide. De même, en Centrafrique, le mot « prochain » est toujours défini en terme de tribalisme, d’ethnicité, du clanisme, du népotisme évoqué par des expressions telles que « ti mo si », « mara ti mo akè nyen ? », « mo kè ti mo ti ndo wa ? », « mo hinga mbi apè, mbi kè molengue, ita, ouali ti… » etc. Toutes ces formules s’expriment explicitement ou implicitement dans toutes les couches sociales centrafricaines (Eglise, politique, éducation, santé, fonction publique, etc..). Or, à la question de savoir « qui est mon prochain ? », Jésus recadre le docteur de la loi par cette histoire. Celle d’un homme blessé au bord de la route qui voit passer successivement un sacrificateur, un lévite, un samaritain. Et il termine en demandant : « Qui a été le prochain de cet homme ? ». La parabole lui sert à transformer la question, en la posant non plus à partir du samaritain, mais du blessé. En fait, au docteur de la loi, Jésus veut faire comprendre deux choses : premièrement, le vrai problème qu’on a, n’est pas de s’occuper de soi-même, mais de s’occuper de l’homme dans la souffrance. C’est dire qu’on ne doit pas raisonner à partir de soi-même, mais raisonner à partir de celui qui est dans la détresse. Que ce docteur de la loi oublie son point de vue et agisse en fonction de ceux qui souffrent. Pour avoir des prochains, il faut savoir se décentrer soi-même, se dépouiller de son égocentrisme. Malheureusement, l’égo de l’homme centrafricain est souvent porté vers ses seuls intérêts. Le malheur des uns fait souvent, hélas, le bonheur des autres. Ce qui pose un problème d’éthique et de moral. Deuxièmement, pour Jésus, le prochain n’est pas de telle ou telle catégorie d’êtres humains, ce n’est même pas l’humanité entière, mais c’est celui avec qui on se côtoie quotidiennement. Autrement dit, c’est notre attitude, notre comportement qui fait de l’autre notre prochain ou non, quels que soient par ailleurs les liens et les différences.

De la parabole du bon samaritain se dégage me semble-t-il une interpellation. Jésus nous pose une question très claire et précise : qui a besoin de nous ? A qui pouvons-nous apporter de la compréhension, une présence et un soulagement ? De qui sommes-nous appelés à devenir le prochain, c'est-à-dire à nous approcher, à mettre la force que nous avons à son service, comme le Samaritain l'a fait pour le blessé ? Toutes ces questions nous invitent à revisiter notre « vivre ensemble » en Centrafrique. Car, le mot « prochain » est encore loin de faire bon ménage avec notre comportement.

Ainsi, plutôt que de « jouer au médecin après la mort », comme l’a si bien chanté l’orchestre Musiki dans « le vieillard », en faisant face aux conséquences des drames que subit la Centrafrique en aval, pourquoi ne travaillerait-on pas en amont ? Peut-être, éviterait-on cette culture de violence qui nous atteint tous directement ou indirectement. Quelques exemples illustrent cette affirmation. De nombreuses guerres et mutineries vécues nous ont laissé des séquelles. Et nous vivons tous dans la hantise d’une vengeance. Peu de choses suffisent pour que des amis deviennent des ennemis, que le divorce entre le pasteur et ses brebis se consomme, qu’un pacte d’alliance entre les familles se déclenche en guerre. La vengeance devient ainsi un devoir d’honneur. En d’autres termes, tous ces conflits armés en RCA ont souvent été déclenchés pour se venger. Là où le Christ préconise l’amour des ennemis et le pardon des offenses, notre pays en demeure à la loi du talion : œil pour œil dent pour dent. Et les églises évangéliques, au lieu de dénoncer ces dérives dictatoriales, se permettent souvent de se taire, sombrer dans l’indifférence, passer outre et poursuivre leur chemin comme le prêtre et le lévite de la parabole. Certains pasteurs, loin de jouer leur rôle de prophètes, flirtent avec les politiques moyennant quelques enveloppes pendant qu’il y a des « frères et sœurs » qui croupissent dans des geôles. Comment ne pas voir notre pays être livré entre les mains des étrangers ? Comme il est d’ailleurs bien affirmé en Juges 13,1 « à cause de leurs péchés, Dieu avait livré Israël cette fois-ci entre les mains des Philistins pendant quarante ans ». En d’autres termes, pour Dieu, ce que font les gens dépend de ce qu’ils sont, mais en grande partie aussi des circonstances dans lesquelles ils sont amenés à agir. L’indifférence du sacrificateur et du lévite illustre « le mal centrafricain ». Il est récurrent de relever l’attitude d’hostilité rampante, d’indifférence notoire, voire d’antipathie viscérale, un souci de repli ethniciste. Chacun se positionne en fonction de son ethnie. Les comportements tribalistes sans fondement objectif sont malicieusement entretenus par une poignée des gens aux intentions malveillantes. Alors, faut-il se plaindre aujourd’hui des conséquences que nous subissons? Si, comme en politique, nous les chrétiens, nous fonctionnons sur des bases tribalistes, régionalistes, ethniques quelles bénédictions pouvons-nous apporter à notre pays?

La parabole nous donne une leçon de morale en enfonçant le clou sur notre incapacité à bien faire. Elle met en scène un marginal sympathique, apparemment financièrement aisé, mais rejeté à cause de sa naissance. Il est Samaritain autant dire qu’il n’appartient pas à la bonne société traditionnelle. On n’a sans doute rien à lui reprocher, mais il n’est pas comme nous. Par son attitude il semble vouloir nous donner une leçon de morale.

Il accepte de se compromettre dans une affaire pas nette. Il interrompt un voyage d’affaires pour s’occuper d’un homme qui est entre la vie et la mort. Qu’importent les affaires, le temps et l’argent, c’est le sort de cet individu qui l’arrête sur son chemin. Il utilise sa propre monture, rebrousse chemin, trouve du secours qu’il doit payer de ses propres deniers, il avance même une provision. C’est comme s’il lui ouvrait un crédit illimité sur son compte. Il retourne ensuite à ses affaires tout en gardant le souci de son protégé pour lequel il promet de modifier son projet de retour, et même de payer encore si c’est nécessaire.

Loin de nous dicter un comportement à adopter, cette parabole nous désigne les priorités que Dieu nous invite à prendre en compte. Cette priorité c’est la vie des autres. Le comportement du Samaritain nous dit qu’elle n’a pas de prix. La vie du blessé était en danger et elle devait être préservée. Le débat s’arrête là. Il n’est plus question de savoir si on a fait ce qu’il fallait. Il n’est pas question non plus de juger le comportement de l’un ou de l’autre, Jésus ne le fait pas, mais il nous entraîne dans une autre direction. Il nous invite à faire une descente au fond de nous-mêmes pour nous demander à qui ou à quoi nous donnons priorité dans nos actions. Est-ce notre intérêt personnel ou celui des autres ? Est-ce notre bonne conscience qui guide nos décisions ou l’amour du prochain ?
Il ne s’agit pas ici d’avoir la réponse juste et de respecter le bon comportement, il s‘agit de percevoir quels sont les impératifs de notre foi que Dieu a inscrits en nous et que notre intelligence nous donne de découvrir. Il s’agit simplement d’être en harmonie avec Dieu et de comprendre que Dieu donne priorité à tout ce qui est porteur de vie : la vie de chaque jour pour ce temps et ensuite la vie éternelle, la qualité de la première étant une annonce de la seconde.

Alors devant l’incompétence des uns et des autres, face à ce qui s’apparente à une démission généralisée en Centrafrique, et même au sein des églises, à l’insouciance des hommes politiques et de nombreux chrétiens, du sommet à la base, la Centrafrique ressemble aujourd’hui à un blessé au bord de la route. Qui sera le « bon samaritain » ?

Prof. Jimi  ZACKA
Exégète, Anthropologue
 

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