samedi 24 mai 2014

LA CULTURE DE LA DEMISSION EN CENTRAFRIQUE : ENTRE LE SILENCE, LA COMPROMISSION, ET LA DEMISSION





Depuis la démission de Pape Benoit XVI, on pensait que, dans l’avenir, plusieurs hommes politiques africains pourraient prendre exemple sur le Souverain Pontife. Car, cet exemple fort de l’homme religieux qui, visiblement, passe pour un modèle pour les politiques, est à apprécier. Son successeur, le Pape François, recevant au Vatican les supérieures générales des ordres religieux féminins du monde entier, a, lui aussi, vivement critiqué "les hommes et les femmes d'Eglise qui sont carriéristes, arrivistes, qui 'utilisent' le peuple, l’Église, leurs frères et leurs sœurs - ceux-là mêmes qu'ils devraient servir - comme d'un tremplin pour leurs propres intérêts et leurs ambitions personnelles". Cette déviance ecclésiale dénoncée par le Souverain Pontife s’apparente à ce qu’on pourrait voir chez nos hommes politiques : l’absence du sens de la nation et de la gestion du bien public. Mais, ma préoccupation va au-delà. Il est question de savoir si l’homme politique centrafricain nourrit une culture de la démission élevée au rang de la vertu. Part-il lorsqu’il n’est plus à la hauteur de la tâche ou quand sa conscience lui enjoint de rendre le tablier ? Est-il habité par la propension de préserver son honneur ou sa probité politique en démissionnant, où est-il hanté par le démon du silence et sa compagne la compromission? Tout le monde connaît ce dicton : « En politique, on démissionne ou on se tait ». C’est dire qu’en politique, personne n’est censé être neutre devant une situation. Ainsi, tout se lit sous le prisme de la réaction politique : silence, compromission ou démission. C’est donc dire à quel point la posture d’un homme politique peut être interprétée, dépréciée ou appréciée par l’opinion publique. En fait, que dire du silence, de la compromission ou de la démission en politique ?

1. SE TAIRE EN POLITIQUE OU « LE SILENCE COUPABLE »


Le silence est généralement défini par la négative ou l’absence, opposé à la parole (« fait de ne pas parler, de rester sans parler ; de ne pas exprimer son opinion, de ne pas répondre ». Pour autant, le silence n’est pas nécessairement dépourvu de sens. Il peut être interprété différemment : la réponse par le silence à une question n’a pas la même signification en tout lieu. Il vaut accord ou acquiescement, comme en droit le plus souvent, selon le principe « Qui ne dit mot consent », mais peut aussi traduire le refus ou la désapprobation. Le silence est enfin valorisé ou déprécié en fonction des circonstances : il en est en effet où il convient de parler, et d’autres où il est recommandé de se taire. Dans la langue française, de nombreuses expressions relatives au silence témoignent de cette ambiguïté. Pour ne retenir que quelques exemples, en négatif : « silence complice », « silence coupable », « passer sous silence », « silence radio », « on ne peut pas rester silencieux», renvoient couramment à des protestations diffuses contre la passivité, la lâcheté, l’insensibilité, le manque de transparence, la culture du secret, la rétention d’information de ceux qui devraient s’exprimer, pour soutenir ceux qui « souffrent en silence », pour dénoncer le crime, le génocide, la dictature, l’injustice ou la censure, lorsque la société est « réduite au silence » ou « mise sous silence ». Autant il peut paraître nécessaire de « sortir de son silence » ou de « rompre la loi du silence», autant « acheter le silence » (des opposants notamment) est condamnable, comme l’est la « conspiration du silence ».

L’exemple en date est l’attitude de certains hommes politiques après l’arrivée de Séléka au pouvoir. Malgré que l’on dénombre des centaines des morts et des blessés, plusieurs arrestations abusives et des exécutions sommaires, des pillages et des viols, etc…la plupart des politiques se contentent du service minimum : faire de petits communiqués pour exprimer leurs inquiétudes. D’autres s’enferment par contre dans un silence assourdissant. Ce comportement politique ne date pas d’hier. Sous tous les régimes qui se sont succédé, les politiques, à quelques exceptions près, n’avaient que cette attitude de se taire ou de manipuler la jeunesse pour assouvir leurs besoins politiques. C’est dire que la culture du silence est une vertu politique en RCA. On se tait pour bien « manger » ou « s’éterniser » à un poste. Exactement comme la maxime des trois singes, dont chacun se couvre une partie différente du visage avec les mains : le premier les yeux, le deuxième les oreilles, et le troisième est la bouche. Ils forment une sorte de maxime picturale : ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire. En effet, on y voit des comportements d’indifférence : à savoir faire semblant de ne pas voir une réalité encombrante, de ne pas l’entendre et enfin de ne pas en parler. .

2. LA COMPROMISSION, UNE LACHETE POLITIQUE


Adam Michnik dit avec raison que : « le compromis, ce n’est pas la compromission, c’est l’envers du fanatisme. La compromission, c’est la lâcheté. Le compromis, c’est le courage ». En fait, la compromission est définie comme "une action de transiger avec sa conscience ou ses principes en acceptant certains accommodements avec d'autres personnes pour son intérêt personnel (son ambition, ses passions ou sa tranquillité)" (cf. Larousse). Peur de prendre des risques, à se mettre à l’épreuve, la compromission pourrait enfin signifier : « Tout va bien dans le meilleur des mondes. Que ça marche ou non, qu’importe ! Ce n’est pas grave ! ». Que d’hommes politiques négligent leur devoir, le prennent à la légère et n’assument pas leurs responsabilités ! A une époque donnée, on appelait certains politiques : « Mr Tout va bien ». Ils sont souvent aphones sur les vraies réalités et préoccupations des Centrafricains. L’aplaventrisme de ces hommes politiques face aux différents régimes est à dénoncer. L’attente est vive de voir nos politiques jouer pleinement leur rôle responsable d’être d’abord à l’écoute du peuple avant d’écouter leur ventre par-delà les avantages, les compromissions.

En cette période si difficile que traversent les centrafricains, toutes nos propositions contributives ne peuvent pas être mises en application, si nos politiques qui sont des exécutants, se baignent encore dans des compromissions, des combines et des démagogies. La lecture des articles des internautes qui paraissent tous les jours sur le site Sozowala.com me renseignent sur la perception qu’ont les centrafricains d’eux-mêmes, une perception construite à partir de l’image de l’autre.

Il y a un besoin de changement profondément exprimé par toute l’opinion centrafricaine et même de manière très intéressée, par l’opinion diaspora. Ce vouloir changer, qui se dit en coûte que coûte, pose aussi beaucoup de problèmes avant tout à nous centrafricains en général, et aux hommes politiques en particulier. La Centrafrique n’est pas un problème pour les centrafricain, ce sont les centrafricains qui sont un problème pour la Centrafrique. Notamment les hommes politiques. Aujourd’hui, aucun parti politique ne peut donner une orientation politique claire. Ainsi, l’incapacité de la classe politique de dépasser en son propre sein certains griefs la rend incapable d’apporter des solutions idoines aux problèmes centrafricains.

L’homme politique, pour moi, est celui qui pense constamment au bien de son peuple et se donne le courage de défendre contre vents et marées sa pensée et s’empêche autant que possible de se laisser corrompre et de corrompre son peuple. Regardez le spectacle que nous livre la classe politique centrafricaine depuis quelques décennies: fichiers mensongers, trahisons, compromissions, révérence outrancière, transhumance, etc. Est-ce encore un homme politique, celui qui participe consciemment à une œuvre qui n’apportera que de souffrances à son peuple en contrepartie d’une 4x4, d’une villa construite en peu de temps, d’un envoi de ses enfants en Europe pour des études, d’une consommation luxueuse assurée ? L’homme politique centrafricain est celui qui agit pour le bien de la Centrafrique tant dans sa vie privée que dans sa vie publique. Il est celui qui est doublement uni avec lui-même et unit avec son peuple. Il se doit de secourir la conscience léthargique de son peuple sans compromissions, mais avec une envie farouche de transcender son égocentrisme.

3. LA DEMISSION, UN RECOURS MORAL FONDAMENTAL


Contrairement au silence et à la compromission, « démissionner permet à la responsabilité morale d’exister. Les personnes qui détiennent une charge publique sont responsables de leurs actes et la démission représente, pour tout agent responsable, un recours moral fondamental. », (J. Patrick Dobel, Intégrité morale et vie publique, Paris, Nouveaux Horizons-ARS, 2003, p.135.). Du verbe latin demitere, « renoncer, laisser tomber », la démission est soit, l’acte par lequel quelqu’un est démis d’une fonction, d’un emploi, soit l’attitude d’une personne qui, de son plein gré, renonce à un poste ou à une fonction. Souvent, on se démet d’une partie de sa fonction, voire de l’essentiel, sans pour autant quitter son poste comme il ne se voit trop. Se retirer, lorsqu’on est incapable ou que l’on a cessé de combattre pour ses idéaux, relève non de la lâcheté, mais de la vertu. A un second niveau de signification de ce dévoiement, la démission est l’acte par lequel on renonce à quelque chose ; une attitude de fuite devant les difficultés, l’abandon, l’abdication, la résignation.

Toutefois, la culture de la démission juste et réfléchie au sein de la classe politique centrafricaine doit être encouragée. Je me permets ici de citer deux exemples des personnalités européennes pouvant aider nos hommes politiques à prendre leur responsabilité.
     • En mars 2011, alors que Dominique Strauss Kahn était épinglé par la justice américaine dans une affaire de mœurs, il n’a pas hésité à démissionner de ses fonctions de Directeur général du Fonds monétaire international (Fmi), pour se mettre entièrement à la disposition de la justice. Aussi avait-il démissionné de ses fonctions ministérielles le 2 novembre 1999 quand il avait été mis en cause dans le cadre d’une enquête judiciaire sur la diversification des activités de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), auprès de laquelle il avait exercé une activité d’avocat-conseil de 1994 à 1997.
     • Récemment, l’Europe a vu des responsables politiques rendre leurs tabliers. C’est le cas de Karl-Theodor zu Guttenberg, ministre de la Défense allemand qui, après avoir été accusé de plagiat, avait annoncé sa démission, le mardi 1er mars 2011 et avait renoncé à son titre de Docteur.

Mais, à l’analyse, la démission ressemble davantage à ce chapeau de magicien d’où il est possible de faire sortir toute sorte de choses. En effet, il suffit de constater que pendant que les personnalités européennes susmentionnées démissionnent pour incompétence notoire ou pour se mettre à la disposition de la Justice, et que leurs homologues africains choisissent de s’accrocher à leur poste coûte que coûte, quelques rares responsables politiques africains choisissent tout de même de démissionner, mais pas du tout pour les mêmes raisons. Au contraire, ils démissionnent la plupart du temps pour excès de compétence, celle-ci étant par essence incompatible avec les logiques prédatrices qui fondent et déterminent les systèmes politiques africains dominants.

C’est ainsi que certains de nos responsables politiques ont quitté le navire à temps de peur de ne pas sombrer avec les autres. Il faut ajouter la démission classique qui consiste à voir le PM remettre une lettre de démission aujourd’hui et être reconduit le lendemain. Je reconnais quelques noms qui m’échappent qui ont eu à démissionner par patriotisme, c’est-à-dire, par amour inconditionnel du pays, par la souffrance du peuple. Les exemples comme ceux-ci ne sont pas légion dans l’environnement politique centrafricain où la transhumance politique et les calculs semblent devenus la règle. Il s’en suit qu’en Centrafrique où on pourrait parler de la culture de la démission à l’envers, « la démission demeure, elle, une option éthique oubliée » (J. Patrick Dobel, 1999, p.133) n’eut été la présence d’une autre espèce politique de démissionnaire qui a recourt à cet acte supposé noble (puisqu’il a vocation à laver l’honneur pour restaurer la dignité perdue) dans le seul but de devenir calife à la place du calife.

Dans la mesure où l’irresponsabilité politique constitue le revers de la médaille et la négation même du phénomène de démission politique en tant que manifestation d’une conscience de la responsabilité qui y est attachée, une question s’impose à nous tous : La démission politique peut-elle être considérée comme consécration de la fin d’une culture d’irresponsabilité politique en Centrafrique ?

  Prof. Jimi ZACKA

 Théologien, Anthropologue

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