A l'ascension de Jésus après sa résurrection, on voit les apôtres regarder vers le ciel et soudain, deux anges apparaissent et leur disent : « Hommes de Galilée, pourquoi
restez-vous là à regarder le ciel ? » (Actes 1,11). En fait, les anges
invitent les apôtres à ne plus regarder le ciel avec les yeux de
l’homme, mais avec les yeux de la foi. Mais qu’est-ce que c’est regarder le ciel avec les yeux de l’homme ?
C’est de croire que tout viendra de Dieu, c'est Lui seul qui peut tout faire à la place de l'homme. Ainsi, la
tentation serait de rester immobiles les yeux rivés vers le haut, les bras ballants. En d'autres termes, c’est croire à une fatalité que Dieu
a déjà prescrite dans l’Histoire et que personne ne peut modifier. C'est compter sur Dieu et se soustraire de toute entreprise et s'inscrire à l'inactivité. De cette
manière de regarder vers le ciel, découle une certaine passivité qui
consiste à tout remettre entre les mains de Dieu et demeurer insouciant.
Pourtant, ce n’est pas ce que veulent transmettre ces messagers de Dieu aux
apôtres. Ils apportent un
autre message, un peu paradoxal :
ne regardez plus le ciel avec les yeux de l’homme, mais regardez la
terre avec les yeux de Dieu. Mais qu’est-ce que c’est regarder la terre
avec les yeux de Dieu, si ce n’est de regarder l’humanité, de regarder
notre prochain avec les yeux de Dieu ?
Un regard non seulement de
compassion, d’amour, de miséricorde, de patience et d’espérance, mais
aussi un regard de prise de conscience individuelle et collective. Un
regard engagé, actif et participatif. Un regard créatif ou constructif. Un nouveau regard que Dieu veut de l'homme confiant.
Ainsi, la question "...pourquoi
restez-vous là à regarder le ciel ? " (Actes 1,11), vient s’imposer à nous
tous: Hommes et femmes de Centrafrique, pourquoi restez-vous là à
regarder vers le ciel, avec des regards comme ceux des apôtres, imprégnés de cette espèce de
tristesse devant un ciel apparemment vide et silencieux, devant une terre
bien incapable désormais de nous donner ce que nous demandons ? Que
faisons-nous là à regarder vers le ciel pour pleurnicher ? N'est-ce pas ce que certains
revendiquent : il faut, comme tâche urgente et essentielle, bâtir et
rebâtir une cité de véritable justice, de paix sans faille, enfin une
cité qui se suffira à elle-même, n'ayant pas besoin du ciel ; d'autres
ne combattent-ils pas Dieu sans y croire d'ailleurs, et veulent détruire
ce ciel qui, pour eux, n'existe pas ou pour le moins, qu'ils pensent
vide.
Car, si Dieu existe, pourquoi permet-Il toutes ces souffrances en Afrique ?Ces interrogations nous plongent dans une incertitude profonde.
Car, nous avons vécu et nous vivons encore un "jamais vu".
Une
expression qui traduit notre désespoir face aux atrocités, aux exploitations et aux abus que nous avons
subis. Jamais l’on n’a vécu sur notre continent un conflit aussi
grave dans son ampleur et dans sa durée. Jamais aucune crise armée ne s’était disséminée avec autant de violences et
d’impacts sur l’ensemble de notre territoire. Jamais une rébellion ne
nous a drainé une aussi forte présence de mercenaires étrangers. Jamais
une crise, notamment en Centrafrique, ne nous a fait courir un aussi grave risque de conflit
inter-religieux et d’implosion du tissu social. Un spectacle « du jamais
vu » sur tous les plans : humain, social, politique.
Au delà de ces dures épreuves vécues,
nous devrons comprendre que ce n'est pas le ciel qui est
vide, c'est notre pays qui se vide de sa vie, de son sens, de ses
repères lorsque les centrafricains cessent de fixer leur regard sur le
prochain avec les yeux de Dieu et ne regardent que leurs passions, leurs intérêts, leur égoïsme. Nous sommes devenus hypocondriaques.
Notre continent, notre pays, notre humanité collective ou individuelle
est devenue plus égoïste, plus injuste, plus corrompue et narcissique,
dans la mesure où nous ne regardons que notre nombril. Lorsque le désir
du religieux est écrasé par le matérialisme, lorsque le sens de la
politique est détourné de sa véritable signification, par ce que nous
appelons "nos affaires", lorsque la quête de Dieu est lentement minée ou
brusquement détruite par une idéologie ou par une autre, il y a une
conséquence inexorable, c'est que l'homme se désintègre, c'est que
l'humain disparaît.
Et c'est tragiquement vrai que la négation de Dieu
entraîne les pires tyrannies et la déchéance humaine. Selon ce mot trop
lucide d'un philosophe contemporain : "Si Dieu est mort, n'attendez
pas que l'homme lui survive longtemps". Et aujourd'hui de quoi meurt
notre pays, si ce n'est de n'être qu'inhumain. Pourquoi notre terre se
dessèche-t-elle, si ce n'est parce qu'elle n'est que terrestre, comme si
elle refusait la pluie d'amour divin qui pourrait la féconder, cette pluie qui ne
descend que du ciel.
De toute façon, la question "...pourquoi
restez-vous là à regarder le ciel ? " (Actes 1,11) nous interpelle tous à porter un regard
nouveau sur la situation actuelle de notre société. Un regard qui doit nous amener à une
prise de conscience collective qui se traduit ici en termes de justice,
de réconciliation et de reconstruction. Il s’agit à cet effet de
rechercher les voies et moyens à se transformer, à évoluer, à
s’améliorer spirituellement, moralement, socialement ou alors
inversement à s’abîmer, à dépérir, à disparaître socialement. Que
devons-nous faire maintenant ? C’est la question qui se pose aujourd’hui
à chacun. Si Dieu nous a donné un nouveau Président, un nouveau gouvernement, de nouvelles institutions. Qu'allons-nous faire maintenant?
Il s'agit de recourir aux caractéristiques fondamentales de nos traditions africaines pour retrouver nos repères. Nous nous devons d'en dégager
certaines valeurs (et même certaines pratiques négatives ou anti-valeurs)
pour voir dans quelle mesure elles pourraient se porter en rectification
à certains effets néfastes de l’évolution de notre société qui est à
la dérive, à la traîne. Par traditions, j’entends un ensemble d’idées,
de doctrines, de mœurs, de pratiques, de connaissances, d’habitudes et
d’attitudes transmis de génération à génération dans nos sociétés traditionnelles.
Ne nous trompons pas ; en tant qu'africains, nous sommes tous
appelés à un moment de reconnaître nos faux pas, de nous corriger, de
nous repentir, de nous réconcilier, de taire nos oppositions pour être
de sublimes maçons d’une nation digne de son nom.
C’est pourquoi, aujourd’hui, il ne s’agit plus de regarder vers le ciel
bras ballants, de ressasser le passé, mais de chercher la voie du
pardon et de réconciliation. Si, au fil des pages de la Bible, les conflits de toutes sortes
et les luttes fratricides ne manquent pas, on est touché d’y trouver
aussi des pardons offerts, qui semblaient pourtant impossibles, des
gestes fraternels venant rétablir un lien rompu, des paroles de paix
faisant subitement taire les rumeurs guerrières. Pourquoi ne pas nous
dire aussi « notre vengeance sera le pardon » ?
Que Dieu bénisse l'Afrique !
Que Dieu bénisse l'Afrique !
Prof. Jimi
ZACKA
Théologien, Anthropologue, Auteur
Chercheur au CREIAF
Théologien, Anthropologue, Auteur
Chercheur au CREIAF
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