Pr Jimi P. Zacka
« Un homme ne doit pas avoir deux patries. Le patriotisme qui se divise s’affaiblit »
(Lin Yutang)
Face à l’ambiance délétère qui sévit en Centrafrique,
où certains se livrent à des fantasmes incontrôlés, où les états d’âme
s’expriment à tout sens, il y a des mots qui exigent des explications. C’est le
cas du mot « patriotisme ». Malgré tous les clairons, tambours et
.chants qui tonnent et se déferlent dans l’air, les médias et les réseaux
sociaux pour faire croire que les centrafricains se réveillent enfin, la RCA a
encore du chemin à faire. Sur ledit chemin, se trouve en première place le
combat pour la « réappropriation », oui je dis bien la
« Réappropriation », parce que la Centrafrique tarde toujours
d’appartenir aux centrafricains.
Ce combat de la « Réappropriation » doit
s’opérer par une prise de conscience engagée et par la révolution des
mentalités qui, elle, doit nous amener dans une bonne projection du futur et à
la reconstruction du pays. Pour mettre terme définitivement aux velléités
hégémoniques de nos envahisseurs et faire échouer le plan de quelques
puissances étrangères, l’implication de tout citoyen s’impose. En d’autres termes,
le peuple centrafricain doit commencer par se poser un certain nombre de
questions. :
Quel sens donner à mon patriotisme ? Comment ses
idéaux pourraient-ils servir la reconstruction de la RCA ? Quelles
seraient les errances et les bifurcations du sentiment patriotique ?
Comment réconcilier le patriotisme et la diversité plurielle composant les
couches sociales en RCA?
Il ne s’agit pas d’un patriotisme moribond,
c’est-à-dire, hypnotique et émotionnel dénué d’idées, riche en zèle
circonstanciel, donc clairement limité, ni d’un patriotisme truffé des discours
creux surfant sur une vague d’indignation populaire. Il s’agit d’un patriotisme
qui a pour ambition de changer positivement le cours du destin du peuple
centrafricain. Mieux, un patriotisme qui fait comprendre au peuple que son
destin se trouve entre ses mains. Alors, des états psychologiques comme le
pessimisme et le fatalisme devaient être enrayés de l’inconscient collectif
pour que le centrafricain s’offre enfin une dignité, une fierté et un espoir.
1. C’est quoi le patriotisme… ?
Pierre Perret (artiste et chanteur français)
donnait une définition intéressante « le patriotisme est la
conviction que votre pays est supérieur à tous les autres parce que vous y êtes
né ». Mais plus explicitement, "le patriotisme signifie
simplement l’allégeance au projet de constitution d’une communauté historique,
lequel projet se réalise par des actions et des événements dont certains
peuvent être remis en question. Être patriote, c’est partager les efforts grâce
auxquels une nation ou une communauté se crée, se constitue, et se réalise au
fil de l’histoire…. ». C’est dire qu’un pays est donc une société de
patriotes loyaux, engagés solidairement pour la survie de la dynamique et de
l’équilibre de la vie en société par l’arbitrage impartial des lois
fondamentales qui la façonne.
Par opposition, le patriotisme par allégeance
opportuniste (nomadisme par intérêt) ou par militantisme partisan à caractère
égoïste par excellence, qui le plus souvent est sectaire, et pour le maintien
d’un régime au pouvoir pour des intérêts de groupe et des clans, ne favorise ni
la paix, ni l’unité recherchée. En fait, il frise souvent le chauvinisme
patriotique, c’est-à-dire, une admiration exagérée, voire exclusive de sa
position, de son intérêt ou de son parti politique. C’est le patriotisme qui se
vit depuis des lustres en Centrafrique. C’est-à-dire, un patriotisme par survie
politique. ou de résistance par coalition pour la conquête du pouvoir. C’est ce
à quoi nous assistons aujourd’hui. Cette lutte acharnée entre les différents
clans politiques : les pro-Bozizé, les pro-Djotodia et les pro-Ziguélé,
pro Samba-Panza etc. s’entredéchirent au nom d’un patriotisme à la centrafricaine.
En effet, un tel patriotisme n’est pas une action citoyenne
car sa vraie motivation ou du moins celle de ses acteurs par rapport à
l’intérêt national reste souvent ambigüe, égocentrique, et ouvrant des voies à
des querelles d’intérêts personnels.
2. Les errances du patriotisme à la
centrafricaine
« Le peuple centrafricain a longtemps
souffert, nous devons cette fois-ci lui donner une chance ». C’est
souvent ce discours récurrent que nous entendons de la bouche de nos hommes
politiques dès qu’ils arrivent au pouvoir. C’est pour montrer leur patriotisme
apparent et s’attirer la sympathie du peuple. De là, elles font des
promesses : combattre la fraude ; la corruption et le
détournement ; installer un Etat de droit ; instaurer la souveraineté
et l’autorité de l’Etat ; le dévouement envers les centrafricains…Une fois
que le décor est planté, ils imposent au peuple ce que j’appellerai un
"patriotisme contrôlé". Pour eux, un vrai patriote, c’est celui qui
doit "rester dans les rangs", se taire et rester docile. Ainsi, tous
ceux qui dénoncent ce qui se passe dans le pays avec vérité, sincérité et
courage sont mal vus, vilipendés, considérés comme des ennemis. Une critique
même objective du régime vous place automatiquement du côté de l’opposition.
Aujourd’hui, tout se lit sous le prisme du pouvoir
qu’on détient ou qu’on a perdu de sorte que certains compatriotes
centrafricains ne se présentent plus que par des pseudonymes. Le patronyme vous
colle malgré vous une étiquette d’un parti, du pouvoir ou de l’opposition. Un
nom à consonance "Gbaya" est pro-Bozizé, ainsi qu’un
nom musulman est "pro-Djotodia", un nom "Tali"
ou "Kaba" est pro-Ziguélé, un nom "Yakoma"
est de Kolingba (paix à son âme), etc.
En effet, même si personne n’est censé être neutre,
sans parti pris, il n’est pas étonnant de percevoir dans quelque attitude
d’indifférence notoire, un souci de repli sur soi-même : « je ne me
mêle pas de leur politique ; ce n’est pas mon problème ; qu’est-ce
que je gagne à aller manifester, après tout, personne ne me connaît moi ;
de toute façon, je ne mange pas avec eux ». Voilà comment nous
centrafricains, avons longtemps enduré les injustices sans broncher, accepter
les humiliations sans réagir. Il m’est arrivé de constater que le
Centrafricain, d’une manière générale, laisse faire et c’est seulement quand il
en a marre qu’il commence à se poser des questions et à se rebeller. Pour
preuve, je pense que les différents systèmes de corruption qui ont pris racine
chez nous est le fait même des centrafricains. Par exemple, dans un centre
hospitalier où je rendais visite à un malade, un infirmier dont on sollicitait
le service pour une injection, exigeait une somme de 1000 frs et personne n’a
osé contester. Je voulais réagir mais on me disait : « yé ni gué ayékè
tongaso » (Ici, c’est comme ça ). Autrement dit, il va
falloir s’en accommoder. Bref, on vit par procuration. Outre cela, le
recrutement, dans la fonction publique comme dans les entreprises privées, est
particulièrement inégalitaire. C’est un véritable parcours du combattant. Sont
presque sûrs de ne pas être recrutés, au profit des « fils à papa »,
les jeunes issus des couches sociales les moins favorisées. Celui qui est bien
placé quelque part coopte les siens. Le diplômé ou l’ouvrier qualifié n’ayant
aucun soutien n’a que ses yeux pour pleurer…la belle époque où l’embauche
s’effectuait au mérite. Voilà faussé le jeu du patriotisme. Les jeunes se
débrouillent à leur manière. Ils oublient que cette mafia qui ne dit pas son
nom, ce n’est ni plus ni moins du vol. Tout le monde constate le subterfuge, le
déplore, le condamne même, mais personne n’ose lever le petit doigt pour
promouvoir un changement de mentalité.
De tels comportements ont créé une démission
généralisée. Devant toutes ces déviances, le vivre-ensemble ploie souvent sous
le fardeau des préjugés, des calomnies, des médisances, des délations et des
rumeurs. Paradoxalement, la solidarité, l’hospitalité centrafricaine contraste
affreusement aujourd’hui avec l’hostilité nourrie à l’encontre des uns et des
autres. Peu de choses suffisent pour que les centrafricains deviennent des
ennemis.
Bref, il faut le dire, toute honte bue, les centrafricains ne s’aiment pas ou plus. Quand .on voit un concitoyen, on se demande automatiquement s’il est de…ou de…ou s’il est pour ou contre. C’est un réflexe. Tout le monde se méfie de tout le monde et chacun se positionne par rapport à ses affinités. Mais, Jésus nous en a déjà averti : « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté et toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne peut subsister » (Matthieu 12,25).
Bref, il faut le dire, toute honte bue, les centrafricains ne s’aiment pas ou plus. Quand .on voit un concitoyen, on se demande automatiquement s’il est de…ou de…ou s’il est pour ou contre. C’est un réflexe. Tout le monde se méfie de tout le monde et chacun se positionne par rapport à ses affinités. Mais, Jésus nous en a déjà averti : « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté et toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne peut subsister » (Matthieu 12,25).
Ce tableau sombre ne peut que nous faire comprendre
que les centrafricains ne peuvent guère se dire patriote, c’est-à-dire,
celui qui aime son pays et qui veut lui être utile en toute circonstance. Alors
que faire pour le redressement de notre pays ?
3. Cultiver l’élan du patriotisme
La refondation de la nation centrafricaine est aussi
possible que facile : Mais ce qui manque aux centrafricains, c’est le
dévouement envers la nation, le vrai amour patriotique traduit en acte, le sens
de l’autre et l’intérêt général.
Car, le concept de patriotisme n’a de sens complet que
s’il est placé dans le contexte social, politique et idéologique dans la vie de
toute une société. Schoar (1981) et Virroli (1985) définissent le patriotisme
comme étant l’amour de la patrie, de la ville natale et des beaux paysages
qu’une personne a envers son propre pays. C’est une affection découlant d’un
sentiment de liens profonds, presque biologiques qui ressemble à un lien de
parenté.
Ainsi, le patriotisme n’est pas un discours mais un comportement.
L’absence de patriotisme compromet toute possibilité de maintenir les formes
sociales et, sans amour de la patrie, les sociétés sont vouées à l’échec. Le
patriotisme peut être le résultat d’une combinaison de valeurs culturelles et
de développement des attitudes. Le patriotisme suppose toujours l’existence de
pionniers. Pour être patriote, il faut renoncer à ses propres intérêts pour
donner priorité aux intérêts suprêmes de son pays. Par ailleurs, les patriotes
doivent être des leaders visionnaires capables de prévoir et de voir en premier
lieu ce que les citoyens ordinaires ne peuvent pas observer en ce même moment.
C’est dire qu’il revient au peuple centrafricain
de bâtir ce pays, et cela n’est pas l’affaire des seuls dirigeants, ni d’une
partie de la population mais de tout un chacun dans la mesure où tout
centrafricain est appelé à se comporter quotidiennement en patriote, pour une
Centrafrique fondée sur la liberté, la paix, l’ordre et l’égalité. Cette
perspective peut être possible aussi par une participation politique active
initiant le peuple à saisir le sens du patriotisme.
.
4. Les fruits du vrai patriotisme
Il y a l’exemple du Rwanda, pays réputé pour avoir
connu une période plus sombre que la nôtre. Mais, après le génocide de 1994,
beaucoup de fils et filles du pays ont décidé de sacrifier leurs vies dans
l’intention de rebâtir un Rwanda nouveau pour tous les Rwandais. Beaucoup ont
accepté de perdre leurs postes d’emploi, dont certains occupaient de hautes
fonctions dans les pays qui les avaient accueillis. D’autres ont abandonné de
bonnes écoles où ils enseignaient, ou d’autres encore ont quitté leurs
entreprises prospères. Ils partageaient, tous, le but commun de libérer
le Rwanda de toutes formes d’injustice, de discrimination, et de précarité. Ce
dont les Rwandais se réjouissent aujourd’hui sont les fruits de leur
patriotisme. C’est aussi un exemple pour les centrafricains de la
diaspora.
En d’autres termes, si les Centrafricains veulent bien
mener ce combat de "réappropriation" du pays pour qu’enfin la
Centrafrique leur revienne, il faudrait se fixer quelques objectifs
patriotiques susceptibles de produire des fruits.
- Le premier objectif est la
restauration de la véritable réconciliation entre les centrafricains. Perdre la guerre ce n’est
rien ; c’est arrivé à bien des gens. Gagner la paix est autrement plus
difficile. Il faut retrouver le chemin de la réconciliation. Peut-être
reste-t-il des blessures jamais refermées et des rancunes tenaces ! Il
faut espérer que le temps finira par faire son œuvre. Sans la paix et l’unité,
aucun développement n’est possible.
- Le deuxième objectif n’est
autre que la sécurité et la souveraineté du pays. La sécurité
sur toutes les frontières de la RCA. Cela relève du patriotisme militaire.
Quant au patriotisme militaire, il devrait être non celui d’une allégeance au
parti ou au gouvernement, mais plutôt de défense de l’intérêt général incarné
par le peuple entier, de la sauvegarde des desiderata du peuple. Que le
peuple se sente en sécurité et protégé.
Le troisième objectif est la promotion démocratique et
l’inclusion politique. Il s’agit
de restructurer les acquis démocratiques et inclure toutes les forces
sociopolitiques indépendamment de leurs différences identitaires. Aussi, la
société civile doit être restructurée pour jouer un rôle clé dans le
développement du pays.
Le quatrième objectif est la promotion d’une économie
centrée sur le citoyen et fondée sur les ressources du pays. Les Centrafricains doivent savoir
développer une culture de valoriser les ressources nationales tout en gérant
efficacement l’apport provenant de différents partenaires. A cet effet, les
opérateurs économiques, les élus du peuple doivent s’impliquer de plus en plus dans
leurs circonscriptions respectives : celui-ci érige une école de métier,
celui-là finance des micro-projets. Tel autre met gratuitement à la disposition
des jeunes gens désireux d’apprendre un métier des centres de formation.
Le cinquième objectif est l’élimination de la
corruption, du
favoritisme et du détournement des ressources nationales. Il faut donc créer
des structures d’instructions indépendantes spécialisées et chargées de
l’amélioration et l’évaluation de la bonne performance des services de l’Etat.
Le sixième objectif est la promotion du
bien-être social et
l’élimination de toutes les causes des divisions sociales, ethniques ou
régionalistes dans toutes les composantes de la société..
Bref, tels sont les objectifs que doit s’assigner le
peuple centrafricain pour tenter d’exprimer son patriotisme. Car, les
centrafricains ont le droit de décider de leur destin et de quitter cette vie
d’humiliation, de paupérisation, de douleurs, d’incertitudes qu’ils n’ont pas
choisies et qui ne caractérisent ni leur rêve, ni leur espoir. Aujourd’hui,
nous avons toutes les opportunités pour enclencher ce changement au risque de
paraître des éternels assistés, des demandeurs d’asile. De même, nous pouvons
passer notre vie à prier ou à parler de Dieu, mais si nos activités
quotidiennes sont des contre-témoignages, la construction d’une société plus
juste ne sera qu’un vœu pieux. Le patriotisme ? C’est dire non à la
paresse, à la corruption, à la trahison et au tribalisme. C’est seulement
lorsque nous poserons la calebasse sur nos genoux que Dieu nous la posera sur
la tête.
Pr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue
Théologien, Anthropologue
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