Un auteur inconnu a dit : « l’élite vit de l’ignorance
du peuple ». Cette citation m’a fait réfléchir sept fois avant d’aller sur ce
terrain miné. Qu’on me pardonne, je porte seulement un regard inquisiteur sur
un phénomène qui commence à devenir fléau dans mon pays. Le Pr Abel GOUMBA
(paix à son âme !), prophète en son temps, l’a prédit : « On a coutume de
qualifier la plupart des dirigeants africains de ‘ Révolutionnaires au bord de
la Seine, mais bourgeois en Afrique’. Cela n'est pas faux. Pour la République
Centrafricaine en tout cas, c'est l'origine et la cause, en grande partie, de
tout le mal dont souffre aujourd'hui le peuple mise en tutelle internationale,
en fait, de notre pays » ( « Le rôle des élites centrafricaines ou le mal centrafricain » in EZINGO
n°1, Septembre 1998). Ce sage
visionnaire a eu et aura toujours raison. La RCA a aujourd’hui un réel problème
avec ses élites, toutes ses élites (politiques, intellectuels, etc.). Ceux
qu’on peut appeler «révolutionnaires au bord de la Seine, mais bourgeois en
Centrafrique». A cause d’eux, ce petit pays est devenu politisé à 80% où tout
le monde connaît la politique. Le moindre fait divers est revêtu d’un cachet
politique. Un pays, où la politique, non seulement avale ses propres fils, mais
fait voler en éclat toutes les valeurs socioculturelles et humaines. Un pays où
le passage d’un régime à l’autre est marqué par une rupture de la continuité de
l’Etat ; où bilan, inventaire et grands projets cèdent la place aux états
d’âme, règlements de comptes, à la violence sous toutes ses formes, à des
dissertations utopiques (il faut parcourir tous les sites centrafricains qui
prolifèrent pour mieux comprendre). Un pays où tout le monde se sent victime et
personne n’est coupable. En effet, Lanza del Vasto, philosophe partisan
de la non-violence a eu raison de dire : « changer de régime et améliorer
les lois sans changer les hommes et les rendre meilleurs, c’est comme balayer
la chambre sans ouvrir la fenêtre ». On a changé de régime et on en
changera. La Centrafrique a connu plusieurs chefs d’état : David Dacko
(1960-1966) ; Jean-Bedel Bokassa (1966-1979) ; David Dacko
(1979-1981) ; André Kolingba (1981-1993) ; Ange F. Patassé
(1993-2003) ; François Bozizé (2003-2013), Michel
Djotodia (2013-2014 ) et aujourd'hui Mme Samba-Panza.
Malgré toutes ces successions de régime, mon pauvre pays
est comme le wagon de queue enfumée d’un train tracté par la locomotive que
sont des communautés sous–régionales et internationales. Il souffre de son
éternelle maladie amnésique et « mis sous tutelle ». En fait, la RCA a connu et
connaît encore une crise qui se résume en un mot : insécurité. Celle-ci se
décline sous différents angles : la pauvreté, le sida, la dégradation des
mœurs, la sorcellerie, l’analphabétisme, etc. La conséquence est que les gens
croient—pas toujours à tort—que c’est dans les rouages de la politique qu’ils
vont se rassurer, garantir leur avenir. D’où les coups d’état, les mutineries,
les rebellions, qui sont devenus des moyens récurrents pour la conquête du
pouvoir, avec le coup de pouce de la plupart de ses élites stratèges bien
formatées et mieux inspirées par un seul objectif : former un gouvernement des
frères et des copains, truffé des incompétents, corrompus, dirigé par des
roitelets, caractérisé par des abus de pouvoir, du favoritisme, du tribalisme,
du régionalisme. C’est l’image de tous les gouvernements qu’a accouchés ma
pauvre Centrafrique au détriment de mes « vieux » et mes « vieilles » terrés
quelque part et nulle part, ne comprenant pas ce qui leur arrive.
En ce jour-ci, les « révolutionnaires au bord la Seine, mais bourgeois en Centrafrique » sont scindés en deux parties: d’abord, ceux qui sont déjà allés mettre la pauvre Centrafrique en lambeaux et qui reviennent aujourd’hui « au bord de la Seine » pour se revêtir du manteau de la révolution labélisé « réfugié politique » ; ensuite, ceux qui sont actuellement « au bord de la Seine » en train de se frotter les mains pour devenir des potentiels remplaçants. Un peu comme les oiseaux migrateurs qui entretiennent de curieux voyages dont ils reviennent au début de printemps, un aller-retour entre le Nord couvert de neige et les chaudes régions du Sud. Mais, il ne faut pas se leurrer. Ils sont tous des copains. Ils se connaissent tous, même s’ils se haïssent le jour et s’étreignent la nuit. N’avez-vous jamais lu (ou entendu) leur mot de passe : « Cher compagnon et ami » ou "on est de la diaspora" ?
Mais qui sont-ils ? Ces gens qui
viennent comme révolutionnaires de la diaspora et repartent comme des « bourgeois ». Quelles
sont les stratégies et les moyens mis en place pour prendre le contrôle des
consciences naïves et ensuite accéder à la « bourgeoisie éphémère » ? Comment
reconnaître ces élites prédatrices dont l’unique intention est de venir à la
bergerie traire le lait et nous laisser la bouse avant de repartir « « au bord
de la Seine » (euh…pardon), regagner leur château payé sur la tête de « papa
retraité » ? Des questions simples mais qui méritent d’être posées.
2. LA FIGURE DES « REVOLUTIONNAIRES
AU BORD DE LA SEINE, MAIS BOURGEOIS EN CENTRAFRIQUE »
Ce sont souvent des hommes et des femmes munis des diplômes obtenus dans des universités étrangères (de fois fictives) ou locales. Ils sont fiers de leur parchemin considéré comme une clé dont on se sert pour ouvrir une porte. S’inspirant des théories marxistes ou capitalistes, dès leur atterrissage à l’aéroport Bangui - Mpoko, ils affichent une prise de conscience de situations d’injustice, d’arbitraire et d’exploitation.
Ils veulent que les pauvres soient aidés, nourris, soignés. Ces tribuns font rêver par leur plume et leur verbe.
Qui n’est pas éloquent, meurt ! Dans les universités, leurs discours sont pris
comme des paroles d’Evangile par des collègues qui, naïvement les élisent
souvent leaders des associations estudiantines cà et là. C’est comme si on
oublie souvent le dilemme du corbeau de la fable de Tolstoï qui se peignit en
blanc pour être accepté parmi les pigeons. Vaine tentative d’autant plus qu’il
sera toujours reconnu « corbeaux». André Malraux, écrivain et homme
d’Etat français a cette belle formule : « Un homme n’est pas ce qu’il cache.
Il est ce qu’il fait ».
En 1978, étant encore sur le banc de l'école sous l’empire Bokassa, j’ai connu des
professeurs de très hautes qualités qui n’ont jamais troqué la toge
universitaire pour la veste du politicien. Ils ont plutôt prôné leur
nationalisme, patriotisme, probité intellectuelle. Ces illustres professeurs
m’ont fait rêver par leur qualité d’intellectuel et d’élite. Malheureusement,
ils n’ont pas eu la chance de faire valoir leur droit à la retraite, ni encore
moins de laisser une fortune à leur famille : Pr Alphonse Blagué, Pr
Nzapa-Kommanda Yakoma (paix à leur âme) et bien d’autres. Peu après, une
nouvelle classe d’élites débarquant fraîchement des universités occidentales,
composée de gens qui se donnaient pour des intellectuels, et qui ne juraient
que pour renverser l’empereur Bokassa, n’étaient animés de l’intérieur par
aucune conviction, par aucune motivation susceptible de déterminer chez eux des
comportements citoyens. Manque de courage intellectuel? Le dicton est connu :
« On
ne dit pas au lion qu’il a mauvaise haleine ».
Venus de nulle part, pour la majorité d’entre
eux, et dont les origines obscures avaient longtemps alimentés les fantasmes du
pouvoir, des prestiges et des avantages sociaux liés aux fonctions de
gouvernement, ces hommes nouveaux ont eu beaucoup de mal à servir l’intérêt
général. En effet, ils sont devenus les élites du pouvoir, défendant bec et
ongle les dérives des régimes sanguinaires tout en creusant le fossé et les
écarts entre gouvernants et gouvernés. Leur rhétorique qui était si démocrate
contraste affreusement avec des pratiques anti-démocratiques. Parce qu’elles
servent leurs intérêts.
3. LA STRATEGIE DES « REVOLUTIONNAIRES AU BORD DE LA SEINE, MAIS BOURGEOIS EN CENTRAFRIQUE »
La musique adoucit-elle les mœurs ou les déprave-t-elle de plus en plus ? Non. Même si certains se trompent de chemin pour chanter de n’importe quoi, d’autres tirent leur épingle du jeu. Dans un tube qui tient à tordre le cou à l’apologie du népotisme, je ne peux laisser passer sous silence le nom du chanteur NGOUTI-WA, célèbre parmi les jeunes centrafricains. Ce chanteur satirique porte de temps à autre sur la classe bourgeoise centrafricaine un regard pointu. Le tube « Fils à papa » en est une très belle illustration. Chanson par laquelle il a décrié le favoritisme, le népotisme, le tribalisme : « papa, tongana mo kè lâ ni Général, kâ mbi ga colonel ; tongana mo ga lâ ni ministre, kâ mbi ga DG ». (Papa, si tu étais X, je serais Y). Je prie que cette chanson ne prenne une seule ride.
Excusez-moi ! Je ne suis pas musicologue. Revenons à nos moutons. Ce que je
veux dire, c’est que, en véritable philosophe, NGOUTI-WA dénonce
pêle-mêle des comportements flagrants du népotisme, de favoritisme, de
clientélisme. Une voie qu’empruntent la plupart de nos « révolutionnaires au
bord de la Seine, mais bourgeois en Centrafrique ». Mais pas tous. D’autres
commencent par la méthode exploratoire (s’ils n’ont pas de parents dans la
haute hiérarchie). Ils lorgnent du côté des personnalités au pouvoir, de leurs
amis ou de leurs collègues proches du pouvoir, et cherchent se familiariser
avec les membres du Parti dirigeant. Bref, la méthode consiste à avoir un
agenda bien garni ou faire la danse du « ventre mou».
Le Pr A. GOUMBA
décrivait bien leur itinéraire : « Poussé par l'appât du gain, l’élite
abandonne progressivement sa propre idéologie adoptée, développée et exposée
depuis les bancs de l'université et à son entrée dans la Fonction publique, au
profit de l'idéologie et des pratiques du Parti du chef de l'Etat. Il commence
alors à se rapprocher des membres influents du Parti-Etat et à encenser le chef
de l'Etat dès que l'occasion se présente, avec le désir secret de se faire
remarquer. Il adhère au Parti-Etat, un parti qu'il avait pourtant combattu et
critiqué naguère, surtout s'il s'agit d'un parti unique opposé à ses
convictions démocratiques ou socialisantes. Une fois dans le Parti au pouvoir ,
unique ou non, il cherche à entrer dans le comité de direction dudit parti,
afin de se rapprocher des centres de décision , concernant surtout les postes
ministériels, dont l'attribution est décidée par le Parti ». (idem).
Le cynisme tranquille d’une telle élite creuse, chaque jour, qui vient la tombe de chaque centrafricain. Ce n’est par l’enrichissement illicite de ces élites véreuses qui refusent d’investir dans leur propre pays, l’argent qu’elles lui volent, qui tirera la Centrafrique du bourbier où l’a jeté cette classe politique. Cet article devrait en faire réfléchir plus d’un. Je ne suis pas « centro-pessimiste », mais c’est un cri de révolte, un aveu public d’échec, un appel pour se ressaisir. Certes, dans ces conditions actuelles, ce n’est pas pour demain les bonnes écoles, les bonnes institutions de santé publique, de bonne démocratie. Le mal centrafricain que je ne saurais loger ni dans la sphère socio-économique, ni porter la responsabilité au peuple centrafricain est d’abord élitiste, intellectuel.
Dr. Jimi ZACKA
(Théologien, Anthropologue)
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